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Gersicotti ? Gersicotta !
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Gersicotti ? Gersicotta !
28 septembre 2016

La Saga Croustade, Pastis et Tourtière [5] : les incroyables révélations ! (1)

Les cartes et réflexions partagées dans cette série d'articles sont le fruit d'un long travail d'une année. Merci de ne pas les utiliser sans mon autorisation et sans me citer. Bisous croustadés, pastissés euh tourtièrés !!

Episode précédent : La Saga Croustade, Pastis et Tourtière [4] : petit voyage en théorie (2) !

 

C'est l'heure des grandes révélations. J'ai un peu tardé, mais je vous l'avais promis pour mon retour de Saint-Jacques. Les grandes révélations ! Du moins d'une partie des grandes révélations. Car pour maintenir le suspens, vous aurez doit à deux épisodes concernant les explications que je propose à propos de la confusion entre croustade, pastis et tourtière. Accrochez-vous, vous allez peut-être être surpris et pire, peut-être vous ne serez pas d'accord et continuerez à vous accrocher à vos convictions concernant la croustade, le pastis et la tourtière. Peut-être ferez-vous un scandale en commentaire… ou pas, parce que je sais que vous êtes civilisés et que vous prendrez des pincettes.

Mais avant d'afficher sur la place publique les cartes linguistiques que j'ai fabriquées avec application, il me faut revenir sur quelques petits détails.

Souvenez-vous, je vous ai demandé de l'aide il y a quelques mois. Vous, chers gascons, qui connaissez et parfois même préparez ces desserts,  avez répondu à l'appel et  m'avez très adorablement aidée dans mes recherches en répondant à quelques enquêtes linguistiques un peu particulières.

Particulières car il se trouve que les enquêtes linguistiques demandent beaucoup de rigueur. Mais comme mon étude avait pour but de démêler globalement une confusion entre trois mots précis, j'ai décidé de travailler de manière rapide et efficace quitte à rencontrer quelques écueils, quitte à ne pas suivre un chemin linguistique trop cloisonné et qui m'aurait pris bien trop de temps. Je vous épargne les détails sur la réalisation ces enquêtes : pour résumer j'ai travaillé à partir de photos de référents pâtissiers, j'ai d'abord proposé un questionnaire à réponse libre et un questionnaire à choix multiple. Grâce à vous tous,  vos partages, votre participation, j'ai récolté quelques 350 réponses !

J'ai eu quelques surprises :pour la première enquête un de mes choix de photo n'avait pas été très judicieux car j'avais choisi un visuel trop professionnel qui ne correspondait pas aux desserts que l'on mange chez soi ! Je me suis retrouvée avec des Pithiviers, des galettes parisiennes alors que le titre de l'enquête précisait bien "Desserts du Sud Ouest".

Bref, pour avoir des résultats plus précis, j'ai lancé deux enquêtes supplémentaires mais cette fois-ci  à partir de visuels plus familiers (que vous retrouverez sur les cartes linguistiques ci-après) et cette fois-ci avec un questionnaire à choix multiple.

J'ai reçu quelques remarques intéressantes : pour commencer, certains locuteurs regrettaient de ne pas avoir la recette plutôt que la photo. Mais ce choix était délibéré. C'est que, vous le savez, les recettes diffèrent selon les fruits utilisés et les notions de pâte feuilletée et de feuilletage me semblaient sources de confusion, d'ailleurs elles l'ont été pour moi lors de mon étude des définitions de dictionnaire Ensuite, d'autres étaient eux-mêmes surpris de donner le même nom aux deux desserts et remettaient en cause leur crédibilité. Enfin, quelques réponses furent hélas inexploitables du fait que les enquêtés n'ont pas souhaité renseigner leur commune d'origine… du coup impossible de placer leurs réponses sur la carte. J'ai pris en compte tous ces problèmes et notamment pour ne pas qu'ils se reproduisent dans des enquêtes ultérieures.

Le questionnaire à choix multiple était simple et facile mais il comportait des risques. Certains locuteurs de bonne foi, on peut-être répondu au hasard, voulant de tout cœur participer. D'autre part pour revenir sur la question de la commune d'origine, je n'ai pas la certitude que la question concernant la commune d'origine ait été à chaque fois bien comprise étant donné qu'un participant a précisé "Le Gers, bientôt les Landes". La commune d'origine a pu être interprétée comme commune de résidence.

Bref, tout n'est pas parfait. Mais j'y vois bien plus d'aspects positifs que négatifs : malgré les incertitudes et les fragilités, les cartes sont une première approche pour constater et comprendre la confusion entre les dénominations de ces desserts mais aussi pour construire une carte approximative des usages sur le territoire gersois et ses frontières proches. Cette expérience m'aura démontré toute la complexité d'une telle démarche et l'incroyable multiplicité des paramètres à prendre en compte !

 

Posons carte sur table … euh sur blog.

J'ai pris les résultats obtenus via les enquêtes. Imaginez-moi, épluche, 350 réponses résumées dans un fichier excel, un après-midi de la fin mai avec grande délectation, avec l'impatience de voir le résultat. Comme je n'avais pas assez de travail et de choses à éplucher, j'ai utilisé aussi les informations fournie par le Thésoc (une base de données linguistique lexicale sur l'occitan très riche en ligne) et je me suis amusée comme une petite folle à placer les mots en fonction des communes d'origine sur la carte du Gers. A la fin de la journée j'avais un peu les yeux qui piquaient mais c'était pour la bonne cause !

 

La première carte

 

carte 1

Alors, confusion ou pas confusion ? Qui a donc raison ? Tout le monde et personne ! Cette carte démontre bien l'affaire ! Le référent étudié ici ( que l'on aperçoit en haut à droite sur la carte) a bien plusieurs noms. On remarque que croustade se démarque un peu plus dans la partie Est, Sud Est, Nord Est. Autour des villes plus importantes, les trois signifiés coexistent fortement (zones entourées de bleu)

 

La seconde carte

carte 2

L'observation de cette carte permet de constater de nombreuses occurrences à  croustade pour le référent placé en bas à droite de la carte sur la zone ouest du Gers avec pour limite un axe orienté Nord-Ouest/ Sud-Est (tracé vert sur la carte suivante). 

carte3

 

De l'autre côté de cet axe, à l'est, pour ce référent, l'usage de pastis et pastis gascon devient majoritaire mais en concurrence avec quelques mentions de croustade et de tourtière. Tourtière est plus présent à l'approche des frontières gersoises (au Nord et à l'Ouest) et dans les villes principales où les trois mots coexistent.

 

Milodiou ! Comment expliquer une telle répartition… quel pastis, dirait les provençaux !

 

Je vais tenter de faire simple, mais je sens que faire simple ça va être compliqué car j'ai tendance à un peu trop emmêler mes mots.  Il va falloir revenir à des considérations théoriques (déjà évoquées dans les articles précédents).

A l'Est, le gascon est en contact avec le languedocien ce qui pourrait expliquer les zones de coexistence aux frontières et la zone de franche démarcation pour le dessert de la seconde carte si on considère qu'à l'Ouest le gascon est plus implanté (je vais me faire des ennemis qui me diront "mais on parle partout gascon", oui, oui, je sais, mais on ne peut pas nier les contacts entre les langues et il faut aussi se rappeler que les zones de transition entre différents dialectes ne sont forcément nettes, fixes et précises !) .

A l'Ouest, c'est plus complexe pour le dessert de la première carte : de nombreux parlers se rencontrent et s'échangent des mots. Il est donc compréhensible que, concernant le dessert de la première carte, la confusion soit bien présente. Elle l'est d'autant plus quand on sait qu'en euskarien (la langue basque), "pastitz" signifie "galette" (BONNEMAISON 2005), cette dénomination pourrait expliquer que le référent de la première carte soit plutôt désigné par "pastis" dans la zone ouest sur la première carte.

Au nord, tourtière apparait davantage et tourtière est le terme employé pour le référent de la photo 2 dans le Lot et Garonne. Enfin en ce qui concerne la concentration autour des villes il faut comprendre que les mouvements de populations sont fréquents pour des raisons économiques. Les exodes ruraux font venir les locuteurs avec leur propre lexique. Nous nous déplaçons toujours avec nos mots ! ( Moi même, venant du Nord-Pas-de-Calais, ayant vécu dans le Sud-Est et étant maintenant dans le Sud-Ouest, je me suis déplacée avec ma wassingue, j'ai adopté la chocolatine, et certaines choses me font parfois caguer surtout quand des branquignoles roulent comme des fadas sur la rocade, HEIN ? Pis eul'tarte aux chuc' ch'est bon quand cha guile. Vindedju.)

On va donc retenir l'essentiel : la confusion est en partie explicable par les nombreux contacts et échanges linguistiques entre plusieurs variétés topolectales de l’occitan(et du gascon) et par ce que l'on appelle la variation diatopique (variation de lieu)  et la variation démographique comprenant les mouvements populations.

 Bref, affirmer "ceci est un pastis gascon" ou "ceci est une croustade" est délicat, on peut dire tout simplement "ce dessert nous l'appelons chez nous croustade/pastis gascon/tourtière" en biffant la mention qui nous parait inutile.

Et ?

Et ce n'est pas fini pardi… parce que j'ai réfléchi un peu plus loin que mes cartes linguistiques mais ça c'est pour la prochaine fois et vous verrez que la confusion est encore plus, comment dire…limpide ? 

 

A suivre : La Saga Croustade, Pastis et Tourtière [5] : les incroyables révélations ! (2)

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